Assise dans mon lit d'hôpital, je fixais ce plafond blanc. Ce n'était pas un blanc réconfortant, ni même un blanc pur, pour moi, il représentait la mort. Idée saugrenue et morbide me diriez-vous, cependant c'était la seule signification qu'il avait à mon égard. Je tournais la tête en direction de la vitre transparente. Ma mère, une femme élégante mais trop absente de ma vie, semblait dépitée par les mots qui sortaient de la bouche du docteur. A voir son visage livide, on aurait dit que l'homme quadragénaire en face d'elle lui cracher du venin au visage. Ma mère poussa la porte et vint me rejoindre tout en gardant une bonne distance d'un mètre entre nous deux. Elle fuyait mon regard, ne pouvant affronter la réalité de ce qu'elle allait m'annoncer. La femme que je voyais était loin d'être ma mère. Ma mère était une femme forte, indépendante et souriante en toutes circonstances, celle-ci était faible, blafarde et désespérée. Oui, de toutes les expressions lisibles sur son visage, c'est son désespoir qui me sauta le plus aux yeux. " La leucémie est à un stade trop avancé... " Bien que je n'eusse nul besoin d'écouter la suite pour comprendre que mon cas était une cause perdue et qu'il me restait à présent peu de jours à vivre. Vivre ? Que dis-je, on ne vit pas quand on passe ses journées sur un lit d'hôpital. Bizarrement, je ne réagis pas à l'annonce d'une mort si précoce. Un sourire se dessina sur mes lèvres et s'en suivi un terrible fou-rire. Déroutée par cette réaction si surprenante, ma mère partit sangloter dans le couloir. Je riais de l'ironie de la situation. Depuis mon enfance, je vivais un calvaire et une solitude perpétuelle. Les moqueries incessantes, les réflexions de mon père sur mon poids, mes résultats scolaires en chute libre depuis six mois... J'en arrivais à un point de non-retour. J'étais plongée dans un trou sans fond, dans une mer noire où l'espoir de remonter un jour à la surface n'était qu'un lointain souvenir. J'avais même pensé à mettre fin à mes jours et voilà que la mort me donner ma carte d'adhésion pour l'autre monde. Le comble dans tout ça, c'est que maintenant je voulais vivre. Seulement, il était trop tard pour commencer l'équitation, trop tard pour avouer à Amaury mes sentiments, trop tard pour avoir un bouledogue nommé Raymond, trop tard pour accomplir ce que je m'étais promis de faire un jour. Malheureusement, ce jour n'arrivera jamais. Cependant, il me restait une seule façon de vivre, une unique et dernière façon d'exister : vivre à travers les notes de mon piano. Oui, le piano avait toujours été ma plus grande passion, la musique en général. Cet instrument était mon réconfort, mon dépotoir des sentiments enfuis au plus profond de mon être. Mes jours étant comptés, ma mère avait réussi à obtenir l'accord du docteur pour que je puisse donner mon dernier souffle dans ma propre demeure. La première chose que je fis en rentrant fut de m'asseoir face à l'objet de toutes mes convoitises depuis une semaine, mon meilleur ami, mon confident : mon piano. Je jouais jusqu'à en avoir des crampes au bout des doigts. Ceux-ci n'arrêtaient pas de glisser sur les touches bicolores de l'instrument d'où émanait la douce mélodie de Bethoven. J'étais faible, mais cela ne m'empêchait en aucun cas de jouer, jour et nuit, le sourire aux lèvres, jusqu'à ce que la maladie m'emporte. Ma mère pleurait, mais j'étais heureuse. Ma passion, mon souffle de vie venait de ranimer une existence perdue dans les abîmes de la dépression. Je m'appelle Agathe et j'avais seize ans.